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Jonathan Perret

L'Or au Creux des Vagues, descente en canoë-bivouac de la rivière Ivalojoki.

11 Mars 2019, 14:40pm

Publié par Jonathan Perret

Voici un topo de la descente de la rivière Ivalo (Ivalojoki) en Laponie finlandaise. Probablement une des rivières "tous-publics" les plus adaptées, les plus belles et les plus sauvages pour vivre l'ambiance trappeur et être immergé en autonomie dans la nature. Sur la partie amont, pas ou très peu de pollution ou de villages, peu de monde, beaucoup de possibilités de bivouac et de beaux paysages.

Itinérance réalisée en canoë-bivouac à 4 adultes (débutants) et 1 chien sur deux bateaux, dont un canoë pliable Ally.

C'est plus un récit qu'un compte-rendu précis mais ça permet de se rendre compte du trajet, du niveau d'engagement, de la force des rapides, du climat, des possibilité de taxis ou de location de kayak/canoë.

Matin au bord de l'Ivalojoki, à la cabane de Kyläjoki

Matin au bord de l'Ivalojoki, à la cabane de Kyläjoki

«- Surmaköngäs !», ça sonne déjà comme un choc. Comme le nom d'un monstre sombre et froid, sorti d'une histoire épique où les rivières dévorent des expéditions entières. La jeune finlandaise qui nous loue l'un des canoës ne laisse pas le doute s'installer. Elle enchaîne directement son prochain coup : « C'est sûrement un de ceux dont il faut se méfier, surma, ça veut dire la mort ! ». Échange de regards débutants entre membres de la pauvre « expédition » que nous constituons, quatre trentenaires, Claire, Laurie, Guillaume et Jonathan, promis à une fin funeste avant même de s'être mouillés les pieds.

« - Vous avez besoin de casques ? » Là, on commence à se dire que Django, le chien, va peut-être aussi avoir besoin d'un gilet de sauvetage.

Quelques minutes plus tard, le convoi funèbre s'élance depuis Saariselkä vers le sud le long de l'artère de bitume qui irrigue l'Est de la Laponie finlandaise, entre Inari et Rovaniemi. Les collines dénudées du parc national Urho Kekkonen s'annoncent et la vue s'étire par dessus l'ondulation des pins. Nous repiquons alors vers le vert sombre de la taïga, hérissée des épicéas les plus nordiques du pays, et prenons la route de terre en direction de Kuttura.

Kuttura, quelques maisons groupées sur la rive nord de l'Ivalojoki, de l'autre coté d'un pont d'acier, au bout de quarante kilomètres d'ondulations. La piste monte et descend le long des reliefs sableux que l'océan arctique a laissé en se retranchant vers le nord, abandonnant derrière lui l'immense lac Inari : notre destination, après six jours et quatre-vingt-dix kilomètres sur la rivière. La camionnette survole bosses, nids-de-poules et tôle ondulée, la remorque rebondit derrière, de flaques en flaques, la boue crépissant les canoës et finissant d'entacher notre crédibilité.

Départ de la descente en canoë de l'Ivalojoki, pont de Kuttura, sur la rivière, cabane de Kylajoki, le chien écrase devant les sacs étanches.
Départ de la descente en canoë de l'Ivalojoki, pont de Kuttura, sur la rivière, cabane de Kylajoki, le chien écrase devant les sacs étanches.
Départ de la descente en canoë de l'Ivalojoki, pont de Kuttura, sur la rivière, cabane de Kylajoki, le chien écrase devant les sacs étanches.
Départ de la descente en canoë de l'Ivalojoki, pont de Kuttura, sur la rivière, cabane de Kylajoki, le chien écrase devant les sacs étanches.

Départ de la descente en canoë de l'Ivalojoki, pont de Kuttura, sur la rivière, cabane de Kylajoki, le chien écrase devant les sacs étanches.

Les sacs étanches sont alignés sur la rampe qui mène à la rivière, taches de couleurs vives qui tranchent dans le sombre de la forêt, les nuages gris déteignent sur les vaguelettes soulevées par un petit vent contrariant. Au moment de nous quitter, la fille de la location nous lance un dernier encouragement : « Mon collègue vient de rentrer de sa descente, la rivière est montée de cinquante centimètres entre son départ et son retour, il y avait des vagues de un mètre. Ça va être drôle ! ». Nous agitons nos bras pour un dernier au-revoir à la camionnette qui repart vers la civilisation, j'ai juste le temps de lui crier de dire à ma mère que je l'aime !

Mais déjà, le ciel qui hésitait encore, se déchire brutalement et les premières gouttes nous obligent à enfiler nos cirés pour pousser les bateaux à l'eau. L'après-midi est déjà bien avancée, mais puisque nous sommes début août et qu'à cette latitude le soleil n'est pas pressé nous avons décidé d'avancer un peu avant d'installer notre bivouac. Il n'y a que quelques petits rapides à passer avant la cabane qui jalonnera la fin de notre première journée.

Les pagaies s'activent, les pales s'enfoncent peu à peu en rythme. Les muscles s'échauffent et le paysage défile. Les premiers mètres des berges sont couvertes d'herbe haute, les petits bouleaux et les saules se retranchent à l'abri des hautes eaux. Les rennes en profitent, nous admirons les bois des plus gros mâles, qui broutent placidement le long du courant. L'averse s'est arrêtée, le ciel se teinte de bleu et alors que les rives se redressent au passage d'une gorge, les rayons du soleil viennent illuminer les embruns soulevés par le premier rapide.

 

Le réveil sonne à 7h pour annoncer le deuxième jour de notre descente. Un peu anxieux par le descriptif donné par le topo, nous poussons les bols de thé fumant et étalons les feuilles imprimées depuis le site web des parcs nationaux finlandais. La lumière d'un ciel dégagé s'étale, rectangulaire, sur la table de la cabane augmentant encore le sentiment d'obscurité qui se dégage de la sobre liste des difficultés :

Möllärinkoski 550 / 1,4 m , 1:393 8km

Saarnaköngäs 700 / 3,5 m , 1:200 9km

Surmaköngäs 50 / 2,0 m , 1:250 10km

«- Ils disent que c'est celui du milieu qui est chaud …

- Comment ça chaud ? Ca devait être tranquille cette rivière !

- Non, non, c'est tranquille, faut juste jeter un coup d’œil avant.

- Hmm, ... »

L'argument ne fait pas mouche et devant les explications un peu floues et le manque de points de repère nous décidons de faire un point avant chaque rapide un peu imposant.

Nous engageons les canoës dans le courant et nous laissons entraîner une bonne partie de la matinée. Les rapides sont assez ludiques, jamais assez gros pour faire vraiment peur, juste assez pour avoir de bonnes sensations et ne pas voir le temps passer. Nous descendons des bateaux quelques fois et essayons de deviner les meilleurs passages en s'aidant des indications du topo et nous préparant pour le pire. Le courant nous fait gagner pas mal de temps sur les parties plates et en début d'après-midi nous apercevons la cabane que nous nous étions fixés pour le soir.

Pas vu le rapide, le gros. Le mortel qui fait peur et coule les touristes. Passée la surprise, les sourires s'affichent sur les visages. Il ne nous reste qu'à profiter du reste de la journée pour pêcher, ramasser des framboises et préparer le barbecue.

Préparation de notre repas pour le bivouac, Calzones au feu de bois !
Préparation de notre repas pour le bivouac, Calzones au feu de bois !

Préparation de notre repas pour le bivouac, Calzones au feu de bois !

Forts de notre expérience grandie de passeurs de rapides, c'est quatre aventuriers qui poussent leurs embarcations à l'eau le lendemain matin. Les comparaisons vont vite, il suffit d'un canoë pliable et d'un chapeau pour que Lars Monsen et Nicolas Vanier nous tiennent compagnie. L'Ivalojoki s'habille des couleurs du Yukon et des projets démesurés s'échafaudent lorsque nous pagayons bord à bord. Alors que nous avons pris un peu d'avance pour passer un de ces rapides « pas-si-compliqués-après-tout », nous profitons du plat qui suit pour temporiser un peu et nous retourner vers le deuxième bateau. C'est alors que, malgré une coordination parfaite, et une trajectoire instinctive développée au cours d'une longue expérience, la proue du bateau semble plonger un peu brutalement sous la dernière vague. L'eau embarquée profite alors vicieusement d'un coup de pagaie un peu trop déporté pour se déplacer brutalement sur un coté. Nous vivons alors notre première leçon de canoë, qui se double d'une intéressante démonstration de physique. Des notions telles que centre de gravité et poussée d’Archimède s’entremêlent pour faire un croche-patte au bateau qui se retourne immédiatement. Nous tirons de toutes nos forces sur les pagaies pour rejoindre les naufragés. Chacun dans sa tête essaie d'imaginer la meilleure des suites à donner à cet épisode. Les nageurs n'étant pas trop en difficulté et les rives toutes proches, nous décidons de nous concentrer sur la bateau. J'attrape une de cordes que me lance Claire, et avec Laurie nous essayons de remorquer le canoë chargé qui flotte sur le flanc, les sacs retenus par des cordes essayent de s'échapper comme les entrailles d'une baleine fraîchement harponnée le long d'un bateau.

Le plan d'eau calme se termine bientôt mais les cailloux de la berges ne sont plus loin. Plus que quelques coups de pagaie et l'histoire se termine bien. Nous avons bientôt rejoint Claire et Guillaume qui ont grimpé au sec, lorsque, aspiré par un courant, le canoë en détresse donne une brusque ruade en arrière. Je retiens de justesse la corde mais Laurie est désormais seule à pagayer. Nous voyons le bord s'éloigner malgré nos efforts et nous sommes tirés vers l'aval. Les deux bateaux passent un petit seuil en marche arrière et dans le contre-courant qui suit nous retentons la même manœuvre. Voyant que nous obtiendrons le même succès, nous devons nous rabattre sur une autre objectif : nous dérivons sur les blocs qui marquent un deuxième petit seuil. Il ne faudra pas les rater cette fois. Le courant nous amène droit dessus. Je profite d'être au plus près du rocher pour monter rapidement dessus et me cramponne comme je peux au canoë des amis qui nous regardent impuissants depuis la rive. Laurie tente de s'agripper elle aussi pour retenir notre embarcation, elle hésite à peine trop longtemps. Dehors ? Dedans ? Sans vraiment pouvoir choisir, ses pieds choisissent chacun la solution la plus sûr. Un dedans, un dehors, le bateau s'éloigne et le grand écart devient inévitable, et intenable. Nous avons un troisième naufragé. Laurie s'agrippe au bateau et se résigne à passer le rapide dans l'eau. Le chien se retrouve capitaine suite à la désertion de l'équipage, un voile d'incertitude passe sur son regard alors qu'il s'engage, sceptique, entre les cailloux. Isolé sur mon île déserte de deux mètres carrés, je vois Guillaume et Claire qui courent le long de la berge pour suivre Laurie.

La cabane de Ritakoski nous rend un bon service en faisant sêcher nos affaires après notre cascade, il n'y a partout suffisament de profondeur pour le canoë.
La cabane de Ritakoski nous rend un bon service en faisant sêcher nos affaires après notre cascade, il n'y a partout suffisament de profondeur pour le canoë.

La cabane de Ritakoski nous rend un bon service en faisant sêcher nos affaires après notre cascade, il n'y a partout suffisament de profondeur pour le canoë.

Heureusement, les deux canoës séparés l'un de l'autre sont plus facile à manœuvrer et Laurie rejoint rapidement les copains à la nage en tirant le bateau avec elle. Je récupère une des pagaies que guillaume m'a remonté et fait passer avec la corde de secours. Une fois vidé leur bateau, il ne me reste plus qu'à descendre compléter notre troupe mouillée qui essore ses t-shirts et vide ses bottes une centaine de mètres en aval. L'occasion d'une petite photo de groupe ! C'est finalement notre seule fessée du voyage. Une petite remise au pas offerte par la rivière, pour notre éducation et le divertissement d'un chercheur d'or et de son chien, qui ont attentivement observé nos convulsions d'amateurs. Encore mieux que la télé !

La suite s'enchaîne sans péripéties notoires. La rivière commence à s'assoupir sérieusement un peu avant Ivalo et s'élargit en méandres un peu monotones sur la fin. L'occasion d'observer les maisons riveraines, les bateaux amarrés avec leur crête de cannes à pêches et les joncs qui viennent envahir le delta un peu avant Veskoniemi. Là, nous profitons encore une fois du bois mis à disposition pour nous cuisiner un dernier repas sur le feu. Le pain dore sur les broches de bois, la fumée vient couvrir nos vêtements du parfum de l'aventure. Nous regagnons le petit port et saluons un couple qui met à l'eau leur canoé.

 

Drammen, le 25/08/2018

Ambiances du delta de l'Ivalojoki, Anse de Veskoniemi, Place pour le feu de camp
Ambiances du delta de l'Ivalojoki, Anse de Veskoniemi, Place pour le feu de camp
Ambiances du delta de l'Ivalojoki, Anse de Veskoniemi, Place pour le feu de camp
Ambiances du delta de l'Ivalojoki, Anse de Veskoniemi, Place pour le feu de camp

Ambiances du delta de l'Ivalojoki, Anse de Veskoniemi, Place pour le feu de camp