Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Jonathan Perret

Ecosse, Histoires de Fantômes et de Fantasmes.

8 Janvier 2015, 20:49pm

Publié par Jonathan Perret

Entrepôts, Newhaven. (cliquer pour retrouver l'image en format original)Entrepôts, Newhaven. (cliquer pour retrouver l'image en format original)Entrepôts, Newhaven. (cliquer pour retrouver l'image en format original)

Entrepôts, Newhaven. (cliquer pour retrouver l'image en format original)

B&B

La route s'étendait presque rectiligne devant la voiture. Bande grise à l'assaut d'un horizon gris. La pluie n'était pas loin, les nuages s'amoncelaient en nuances sombres sur le vert des rares pins calédoniens. Notre veille voiture sautait vaillamment sur les ondulations de la nationale, traversant à fond de train les petits ponts de pierres qui ponctuent la A9 en direction d'Inverness. Le paysage ne poussait pas à ralentir, de part et d'autre, le moorland étendait sa monotonie. Le soleil encore timide d'avril n'avait pas encore réussi à faire sortir la nouvelle herbe. Nous surprenions les Highlands au réveil. Les touffes d'herbes jaunies avaient été plaquées au sol par les bourrasques de l'hiver et les buissons de bruyère étaient encore aux couleurs de l'automne. De temps à autre un loch métallique était soulevé par le vent et chassait les oiseaux migrateurs qui avaient espérés y trouver un refuge temporaire.

La journée avait été éprouvante, elle était la dernière d'une série de quatre passées sac au dos à travers l'île de Skye. Au retour, notre seul chez-nous avait été la vieille 205 grise héritée du grand-père. Nous voulions goûter à la chaleur d'un home accueillant. Nous faire avaler tout entier par un fauteuil trop profond et sentir brûler la tourbe dans une cheminée recouverte de bibelots kitchs et de portraits d'enfants en costumes militaires.

Mais pour l'instant les clôtures de fil de fer ne s'ouvraient que sur des fermes délabrées. Murets branlants, posés sur une couche de fumier intemporelle, toits de tôle rouillée par dessus des ardoises ébréchées. Les carcasses d'engins agricoles dans les cours semblaient dater d'avant guerre. Dans ses campagnes, le temps a son propre rythme.

Un panneau marron représentant un chardon encadré de bleu surgit du brouillard montant. Comme d’habitude, impossible de remettre le nom en gaëlique à sa place sur la carte routière achetée en hâte dans le ferry. Le logo était au moins la promesse que nous approchions d’une zone plus touristique. Les B&B allaient refaire leur apparition.

Depuis maintenant quelques miles la forêt avait resserré son étreinte autour de la route. Nous faisant perdre toute notion de distance. Quand on cherche un endroit où s’arrêter, les conversions entre la mesure locale et les kilomètres ont tendance à inventer leur propre mathématique. Entre chaque virage la route s’étire et se contorsionne en méandres interminables.

Au détour d’une courbe plus resserrée que les autres nous l’avons soudain aperçu. L’angle d’une villa de pierre avait surgit du bois. Nous tordîmes le cou dans l’espoir d’apercevoir le panneau salvateur. Portail de fer, petit pont de bois, et … « Vacancies ». La voiture, un peu surprise par mon coup de frein, à dérapé sur le goudron humide et j’ai enclenché la marche arrière jusqu’au portail.

« Dark Well B&B, all rooms en-suite ». Le panonceau qui cachait le “No” était bien à sa place, un salon douillet nous attendait.

La maison était cossue, en belle pierre grise, pas vraiment originale, les fenêtres en chien assis dépassait simplement les fermes habituelles d’un étage supplémentaire. Le gravier de la cour s’écarta sous nos pneus et nous laissâmes de légères ornières qui se remplirent immédiatement. L’averse se déversait à seaux sur le toit d’ardoises noires. Nos phares balayèrent le perron et les fenêtres sans volets. Nous n’eûmes pas le temps de sonner, une fois devant la porte un couple souriant nous ouvrit.

Nos deux hôtes avaient passés les soixante-dix ans, propres sur eux et dignes dans leur robe de chambre comme seuls peuvent l’être les Anglais. Ils devaient se voir comme les derniers vestiges de ce que la civilisation avait pu apporter dans ce coin perdu du Nord.

Nous fûmes accueilli avec bienveillance et sourires, notre chien fût accepté également et eu droit à une petite tape amicale sur la tête.

Nous traversâmes rapidement un couloir vert bouteille et nous dirigeâmes vers les pièces principales. Seul le salon était allumé d’une discrète lampe de bureau mais les meubles de bois sombre s’animaient sous la chaude lumière du feu de cheminée. Les pains de tourbes brulaient de leur rythme millénaire et leur odeur emplissait la pièce de souvenirs. La météo maussade du mois d’Août Irlandais refit en nous immédiatement surface. La maîtresse de maison nous offrit des gâteaux délicieux. L’heure du thé était passé depuis longtemps mais on eu dit qu’ils sortaient tout juste du four. Nous complétâmes plus tard le menu par deux sandwichs et s’étant assurée que nous avions chacun ce qu’il nous fallait sur un plateau et un plaid sur les genoux, notre hôtesse anima gentiment la conversation.

Nous nous trouvâmes rapidement un sujet de conversation inépuisable : elle et son mari étaient des ornithologues passionnés. Nous écoutâmes avec plaisir leurs anecdotes. Nous ne pûmes malheureusement pas y faire honneur très longtemps, la fatigue du trajet nous tomba dessus et nous regagnâmes notre chambre en ricanant. Rien ne manquait, ni les portraits, ni les bibelots et les fleurs de la tapisserie complétaient une nature morte composée autour des nombreux gibiers empaillés.

Nous passâmes une nuit fantastique, totalement absorbés entre l’épais matelas à ressort et l’édredon couleur de rouille. Au matin nous ne pûmes pas allumer la lumière mais le jour naissant nous permit de trouver notre chemin jusqu'à la salle de séjour où nous ne vîmes personne. Le chien qui avait passé la nuit en bas nous fit une fête empressée mais ne put nous en apprendre plus. Sur la grande table de la salle à manger nous attendait un petit déjeuner à l’anglaise parfait. Œufs au bacon, beans et toasts gardés chauds sur des chauffe-plats à bougies. Nous remplîmes nos tasses d’un thé noir bouillant tiré de la théière isotherme en prenant garde à ne pas mouillé les sous-tasses de porcelaine décorée.

En partant nous laissâmes la somme convenue la veille dans une enveloppe que nous déposâmes appuyée contre la théière, surpris que nos charmants hôtes de la veille ne se manifestent pas. Nous fermâmes la porte derrière nous et reprîmes la voiture. En passant le portail nous découvrîmes un panneau « For Sale » passé inaperçu la veille. En arrivant à la distillerie qui faisait l’attrait touristique de la région la réceptionniste nous apprît que le Dark Well B&B était en vente depuis presque 10 ans. Le mari était décédé le premier d’un sordide accident de chasse et sa veuve ne pouvant supporter la solitude s’était résignée à utiliser les poutres du grenier comme potence.

Chasse

Callum se frayait un passage à travers la bruyère. A cette altitude elle était encore haute et dense et il n’avançait pas facilement. Ses pensées vagabondaient en attendant de rejoindre le poste qu’il s’était fixé. Il ne pouvait pas s’empêcher d’y repenser.

Il aurait du profiter pourtant. Malgré la saison avancé le temps restait sec, le fusil ne pesait pas trop lourd sur son épaule et le col remonté de sa veste molletonnée le protégeait bien du vent frais. Il avait neigé sur les hauteurs cette nuit. Les pare-vent en bois dessinaient des hachures noires le long des courbes du relief. C’était là-haut justement que ça c’était passé, les journaux locaux en avaient fait tout un foin. Il faut dire que même les chaînes nationales avaient envoyé des journalistes. Une drôle de manière de faire découvrir la région. Lui il avait suivi ça sur l’écran géant du Pub. Les copains gueulaient, leur pinte à la main. D’accord ils étaient bien un peu bourrus et les étrangers qui passaient la porte de la « Public House » étaient dévisagés d’une manière pas trop engageante. Mais c’est pas parce que ceux de Londres n’aimaient pas leur manière de rouler les R qu’il fallait faire des assassins de tous les gars du pays. Il aimait bien le pub, même si les conversations s’échauffaient souvent, en fin de soirée ils se tapaient tous sur l’épaule.

Sa femme travaillait à l’accueil de la distillerie. Le bureau servait également de Tourist Office comme l’indiquait le panneau sur la devanture.

« - Tu te rends compte Callum ? Ces deux gamines j’ai du les voir passer dans la boutique ! »

Il les imaginait choisir les cartes postales pour la famille, retourner une des quatre parties des statuettes de Nessie pour en connaître le prix.

La police avait interrogé un sacré paquet de monde dans la région, elle aussi ils étaient venus la trouver. C’est comme ça qu’elle avait appris que l’une des filles, la moins jolie, d’après les portraits diffusés à la télé, avait eu le crane fracassé. La deuxième avait eu moins de chance. Un triple meurtre dans les Cairngorms, et un viol en prime. La saison touristique avait été correcte mais l’année prochaine, qui sait ?

Le poids du fusil commençait à se faire sentir, il changea d’épaule. Son adjudant à l’armée n’arrêtait pas de lui répéter que la crosse d’un fusil était aussi dangereuse que la balle, la discrétion en plus. Il ferma les yeux, il ne voulait plus y penser.

La pente commençait à se raidir, il s’arrêta pour entrouvrir sa veste. Une grouse en profita pour décoller en gloussant. De son vol mi-plané mi-frénétique elle alla s’installer derrière la crête d’une bosse en contrebas. Il n’avait même pas pris son fusil en main. Il avait perdu le goût, la concentration aussi, cette affaire le tourmentait. L’autre jour en suivant un mâle dans son viseur il n’avait pas vu son collègue sur le versant proche, le tir avait manqué et les plombs avaient déchirés un buisson de bruyère à quelques mètres du copain. L’autre lui avait passé un sacré savon.

Il les avaient vu l’après-midi même où ça c’était passé, les campeuses. C’était au sortir de l’hiver, il était allé voir comment repoussait les bruyères qu’ils avaient brûlées l’été dernier. Ça permettait de stimuler les plants, les buissons portaient plus de fruits et les grouses étaient plus abondantes. C’était une journée comme aujourd’hui, il avait plus dans la nuit mais le soleil avait fini par sécher les nuages et dans les creux entre les collines, à l’abri du vent, il fait bon.

Il les avait trouvé là, elles venaient de se baigner dans le ruisseau et séchaient au soleil. Elles l’avaient salué et il s’était arrêté discuter cinq minutes. Elles dans leurs mauvais anglais et lui dans son parlé hérité de son enfance à Glasgow. Ils avaient échangé des banalités et il était reparti, rien de plus. Il ne l’avait pas dit à la police, ça aurait fait de lui « le dernier à les avoir vu vivantes », comme ils disent à la télé. Et ça, c’était jamais bon.

Il profita d’une pause pour porter à ces lèvres la petite flasque en acier brossé qu’il gardait dans la poche. Le liquide ambré lui fit reprendre pied sur terre quelques minutes. Il leva la tête et réajusta sa casquette. Quelques centaines de mètres et il serait au bon endroit.

Il s’assit sur un arbre mort couché au sol par le vent. Ça faisait un moment qu’il était là celui-là. Son tronc épais était parcouru de veines éclatées que les intempéries avaient mises à nue en le dépouillant de son écorce. Callum laissait sa main découvrir le tronc rendu lisse. Il ne put réprimer un frisson, elles lui évoquaient la vie humaine ces rides. Fines, larges, se recoupant et s’éloignant, celles que suivait sa main s’arrêtèrent nettes sur la fracture d’une branche brisée.

Ce n’était pas la pluie qui mouillaient ses joues, il se prit le visage dans les mains et se laissa aller à pleurer. Pourquoi avait-il prit le Land-Rover ce soir là ? Quelle idée d’aller s’engager sur cette route isolée au bout de laquelle il était sûr de tomber sur leur tente ?

Les copains du Pub le retrouvèrent le lendemain. Sa casquette, accrochée à une branche brisée était soulevée par le vent de l’hiver qui arrivait. Son dernier coup de fusil n’avait blessé que lui. La pluie entraînait les derniers morceaux de ses souvenirs à travers la terre noire du marais.

Ornithologie

Margaret avait fait tout ce qu’elle avait pu pour le retenir. Elle devait savoir que quelque chose allait se passer. Elle avait un don pour ça. Elle ressentait les choses en avance. Certains jours, alors qu’aucune réservation n’avait été prise elle se mettait au fourneau et la minuterie du four sonnait à peine quelques minutes avant qu’ils n’entendissent les graviers de la cour crisser sous les pneus des visiteurs.

Il n’avait aucune raison objective de ne pas y aller. Il avait à chaque fois été empêché par un contretemps. S’il n’y allait pas maintenant il allait manquer la saison et il ne pourrait pas rapporter les images qu’il voulait. Le Grand Tétras était présent en petit nombre dans la région mais des amis lui avaient indiqué un endroit où il était à peu près sûr d’en apercevoir. Les parades étaient un évènement à ne pas rater.

Il était parti juste après le déjeuner, abandonnant Margaret qui lui avait encore demandé de rester.

L’endroit était assez facile à trouver. En arrivant sur le parking il soupira. Le tourisme avait infligé une cicatrice transversale au paysage de collines arrondies qui l’entourait. Une grande ligne de télésiège remontait jusqu’aux sommets dénudés derrière lui. Comme c’était étonnant. Un oiseau qui faisait figure de relique à cause de l’activité humaine croissante avait choisi comme retraite un lieu symbole de la domestication du monde sauvage. Le câble filait bien droit vers les hauteurs. Très vite, sous la ligne, le paysage changeait au fil des mètres gagnés sur l’altitude. La bruyère disparaissait, les rochers se faisaient plus nombreux et le vent ne laissait que quelques touffes d’herbes jaunies et le lichen. Là-haut c’était le domaine du lagopède, un cousin éloigné de l’oiseau qui l’avait fait venir ici. Les tétras, eux, préféraient les vieilles forêts de conifères qui remplissaient justement les plis de la vallée en contrebas.

Pleine de gibier cette forêt. Il s’était arrêté sur la route pour regarder sa carte et vérifier qu’il était bien sur la bonne route. Par la fenêtre ouverte il avait entendu l’aboiement d’un chevreuil tout proche qu’il avait du déranger.

Il ne lui avait pas fallu longtemps pour repérer l’endroit favorable. Avec l’habitude il s’avait où s’installer. Il avait finalement un peu de temps devant lui. Les coqs ne s’installeraient qu’à la tombée du jour et il était probable qu’il y passerait la nuit pour profiter de la belle lumière de l’aube.

Il installa patiemment tout son matériel. Les deux trépieds étaient lourds et bien stables, il pourrait y mettre l’appareil photo et sa lunette.

Pour passer le temps il prit ses jumelles et observa le paysage alentour. Peut-être y découvrirait-il d’autres espèces intéressantes. Il laissa filer son champ de vision le long des drôles de barrières coupe-vent en bois qui barrait la montagne. Les grouses aimaient ses endroits et il était sûr d’en repérer quelques-unes. Il suivit les virages arrondis d’un petit torrent de montagne et au hasard de son inspection s’aperçut qu’une autre route passait non loin. Un pont permettait d’enjamber le ruisseau. Peut-être un couple de cincles y avait élu domicile ?

Il en était là de son inspection quand un Land-Rover traversa rapidement le pont. Le conducteur dût apercevoir un reflet projeté par ses jumelles parce qu’il tourna brutalement la tête et eu le temps de le fixer brièvement.

Pas de cincles sous le pont de pierres. Il continua dans la direction d’où venait le 4x4. Peut-être que là-bas aussi il y avait un spot potentiel pour installer son matériel de prise de vue. Quand il fût en vue de la tente il pensa d’abord que la fille allongée à côté se reposait. Mais en y prêtant attention, la position de son corps était si tordue qu’il commença à s’inquiéter. Il courût à sa longue vue pour vérifier ce que son esprit se refusait à croire. Mais le grossissement de la lunette ne lui laissa plus d’illusions.

Alors il repensa au Land-Rover. Et avant même de sentir le contact froid du canon sur sa nuque il sût qu’il ne pourrait pas rentrer le lendemain pour rassurer Margaret.

Inverbervie, mai 2014 et Chamrousse, Novembre 2014