A l'Heure Norvégienne ... et ... le Réchaud à Bois

Gjendesheim, porte d'entrée (payante !) du parc national du Jotunheimen.

A l'Heure Norvégienne

Comme d'habitude, nous avons arrêté la voiture dans un coin tranquille pour la nuit. Dix-huit heures, nous effectuons notre déménagement quotidien, tout ce qui est derrière la journée passe devant la nuit, pour que nous puissions nous-même occuper la place des affaires et étendre nos jambes dans le coffre. Au bout d'un moment nous confrontons nos différents téléphones, montres et divers appareils, de technologie plus ou moins avancée, pour nous souvenir d'un petit détail : il n'est que cinq heures. Nous qui étions fier de nous lever de manière spontanée avant même le réveil ! Nous avons en fait dormi une heure de plus ce matin.

Ce soir, au bout de la ligne de petits pointillés verts qui avance jour après jour sur notre carte de la Norvège, nous venons de marquer le numéro 10. Dix jours que les points verts recouvrent les petites routes départementales et les grosses nationales de ce pays de couleurs et d'émotions. Passées les premières heures de la découverte, nous rentrons un peu plus dans le pays.

Après quelques heures de route, on arrête de se projeter dans toutes les petites « hytte » en bois colorés qui parsèment les rives des lacs et les forêts. On commence à faire les difficiles, on choisit les alentours, la couleur , la région, plutôt lac en forêt ou fjord ? Et quelle station service comme point de repère ? Les villages ne ressemblent pas trop à chez nous. Pas de petit bistro ou de place du village. La ville la plus animée en dehors de Bergen que nous avons croisée est Dombas. Normal, elle peut se targuer d'avoir une station service, un magasin de sport et deux supermarchés. Les gens tapent la causette dans les galeries commerciales, juste devant une gigantesque photo de bœuf musqué. La ville a poussé sur la E6, la grande artère Nord-Sud du pays.

Le parking sur lequel mon bus se gare quand je passe l'été avec mes groupes est recouvert d'une petite couche blanche. Mi-verglas, mi-neige, l'automne hésite à passer le relais à l'hiver. J'en profite pour jeter un œil au magasin de souvenirs. Lui, indique bien que l'été est fini, une partie des bibelots made in China estampillés « Norway » à cédé la place à des ustensiles de cuisine.

L'heure n'est plus trop aux touristes dans le pays. C'est une jeune chasseuse rencontrée aux abords du parc national du Jotunheimen qui s'étonne de nous trouver là. « J'ai cru que vous étiez des éleveurs de rennes, ils ont les même chiens que vous ! ».

Les offices du tourisme affichent souvent portes closes et nous avons du mal à trouver la moindre info sur ces bœufs musqués qui nous attirent dans le coin. C'est le seul endroit d'Europe où l'on peut observer ces gros moutons préhistoriques au caractère belliqueux mais les informations à leur sujet sont aussi bien cachés qu'eux. Sur les conseils de la vendeuse de souvenirs nous poussons un peu plus au Nord, jusqu'à Hjerkinn. Pas vraiment une ville, quelques bâtiments modernes sur un parking géant, balayé par un vent violent et glacial, des routes en terre grise, à moitiés gelées, partent dans tous les sens. Nous récupérons quelques indices auprès de la jeune fille en charge de l'un des bâtiments, qui s'avère être une auberge de jeunesse.

Nous nous installons sur un parking pour la nuit et partons en balade vers un point de vue. A la descente il me semble voir un buisson un peu plus sombre, un peu plus gros, un peu trop mobile, un peu trop … animal. Je sors les jumelles et les pointes vers celui qui deviendra pour nous René le bœuf musqué. Il broute tranquillement, a quelques centaines de mètres d'un chemin ultra-fréquenté. Le vent joue dans ses poils d'un mètre de long, il promène sa grosse tête massive au plus près des quelques pousses entre les buissons. Nous ne nous approchons pas, sur un dépliant qui présente le parc, en bas de page est écrit : « Record du monde du 100m : 9'5'', Boeuf musqué : 6' » Les choses sont claires !

Heureusement , le temps se calme le lendemain et nous sommes réveillés par un magnifique lever de soleil. Les cristaux de glace qui recouvrent les fenêtres sont une mosaïque rose, rouge et orange. Nous arriverons dans la journée à localiser quelques hardes au loin, dans la grande plaine qui s'avance en bas du Snohaetta, point culminant du massif. Nous hésitons à partir camper pour aller à leur rencontre mais le temps ne s'annonce pas trop favorable.

Depuis que nous sommes là, la météo passe par tous les temps de l'automne. Du ciel bleu et froid sur la route verdoyante du Ryfilke, aux averses diluviennes à Bergen et dans la sombre et encaissée vallée de Dale. De la pluie verglaçante dans les forêts de pins scandinaves du Valdres au blizzard sur les hauts-plateaux de Kjerag, du Jotuheimen et du Dovrefjell. Le temps n'est pas trop au camping mais l'ambiance est garantie !

En attendant j'essaie de profiter de chaque ciel clair pour repérer un peu plus les constellations. Avant-hier nous avons campé sur une petite butte, toute proche d'une tourbière gelée. Le soir, après avoir mangé, recouvert de toutes mes épaisseurs, je suis sorti du couvert des bouleaux et des pins. En avançant sur ce sol normalement spongieux mais figé par le commencement de l'hiver, il n'y avait que le bruit des herbes gelées, le crissement de la glace fine sous mes pas et un ciel immense et prometteur au dessus de moi.

Demain, Trondheim !

Klaebu, le 30 octobre 2016.

Préparation du thé matinal à Hjerkinn, Eglise en bois debout de Borgund et bâtiment agricole, route vers le Jotunheimen, lever de soleil dans le Dovrefjell et Laurie célébrant l'office depuis la chaire du curé (Preikestolen).

Le Réchaud à Bois

Partir voyager en Norvège c'est synonyme de grands espaces, de bivouacs de rêve et de cuisine sur le feu. Depuis au moins cinq ans que j'ai fabriqué ce réchaud à bois à partir d'un égouttoir à couvert Ikea, je n'avais pas encore eu l'occasion de m'en servir. Ce voyage sera l'occasion de me mettre à l'épreuve, de me rapprocher de l'esprit trappeur, de pouvoir n'utiliser que la nature environnante pour me remplir l'estomac. Pour ce qui est de la nourriture, la canne à pêche reste encore sagement rangée, les hameçons encore dans leur emballage, mais pour la cuisson je suis paré.

Nous décidons de partir camper en direction d'un petit col , la forêt, le lac, tout le décor est planté. Au moment de l'allumage du réchaud j'ai encore en souvenir l'échec cuisant de la veille. Après deux bougies, technique héritées des romans de Jack London, et deux heures passées à souffler sur des branchages réarrangés quatre fois, le feu refuse toujours de prendre. Las, je reste sur cet échec.

Cette fois-ci c'est Frison-Roche qui me donne un coup de main et me passe l'idée de l'écorce de bouleau. Hyper efficace. L'écorce s'enflamme immédiatement, une fois que le gaz gelé du briquet veut bien redevenir liquide, et le feu s'étend au petites branches de bouleau et pin qui remplissent le cylindre du réchaud. Flammes vives, le vent attise le tout, je pose la popote pour faire chauffer l'eau du thé et contemple l'image glorieuse de l'homme maîtrisant les éléments.

En fait, je n'ai pas beaucoup de temps pour contempler. Je m'aperçois surtout que les branchettes sont rapidement dévorées par le réchaud et qu'il faut alimenter sans cesse. Je passe la demi-heure suivante a injecter consciencieusement sa dose de bois à mon glouton de feu de camp. Branchettes après branchettes, minutes après longues minutes, de petites bulles commencent à apparaître, signe indubitable que l'eau puisée de la tourbière gelée à proximité va bientôt se changer en un breuvage civilisé.

Ça, c'est encore l'amateur qui le dit. Les petites bulles ne sont que le signe que dans les minutes suivantes, si le trappeur débutant fait sont boulot d'approvisionnement de manière bien continue, un léger sifflement émergera du couvercle. Signe que plusieurs, longues, minutes après, un début d'ébullition apparaîtra. Et, le trappeur et sa compagne pourront déguster leur thé âprement gagné.

De retour d'une petite balade, pour vérifier les données récoltées par le premier test et gagner en habileté je propose de cuisiner la polente de la même manière. Expérience pleinement réussie puisque qu'après trois-quart d'heure d'efforts, je ramène à la tente une casserole fumante que nous engloutissons.

La nuit est tombée depuis longtemps, j'ai à la fois les doigts gelés par le vent et brûlés par le contact approximatif avec le réchaud et je m'étouffe presque avec l'odeur de fumée qui sors de ma veste. Mais la communion tant attendue avec la forêt est arrivée, je sais que s'il fait chaud, pas trop de vent, que j'ai du bois, et de l'écorce de bouleau, et que je m'ennuie lors d'un bivouac solitaire, le réchaud à bois est la solution idéale.

Klaebu, le 30 octobre 2016.

Camping et cuisine sur le réchaud à bois fait maison Ikea, balade sous les flocons en face du Jotunheimen et tourbière gelée dans le Dovrefjell.