C'est le Jeu ma Pauv' Lucette !

C'est le jeu ma pauv' Lucette !

Vert, jaune, marron, bleu, vert, jaune, marron et bleu, encore, beaucoup de bleu. « - C'est fou ce qu'il y comme bleu sur cette planète ! » Les couleurs défilent sous les yeux du mari de Lucette. Elles passent à une vitesse formidable. Impossible de reconnaître quoi que ce soit, les frontières ne sont plus qu'une idée abstraite. Ne restent que les montagnes, les déserts et les vastes steppes. Et les mers, les océans, les rivières qui viennent dessiner le contour des continents.

A cette allure le vieux n'y comprend plus rien alors il ferme les yeux, des plis se forment sur son front, il se concentre comme si cet effort pouvait forcer le hasard, il tend la main, et brusquement, abat son doigt sur le globe céleste. La rotation s'arrête brusquement. Mais sur la surface de plastique de l'océan indien même pas une ride ne s'est formée. Le doigt a atterri au beau milieu du bush australien, un peu à droite, à l'Est, d'Ayer's rock. « - L'Australie ! » annonce le mari. « - Ah non, pas encore ! ».

La voix de Lucette arrive depuis la cuisine. Le voyage ça les réunis les deux, d'ailleurs Lucette rejoint son mari au salon. Sitôt qu'elle est assise un sourd grondement leur arrive aux oreilles. Ils ne peuvent se parler qu'en criant. Mais de toute façon l'accélération les cloue aux fauteuils et leur coupe le souffle.

Une chaleur sèche envahi la pièce et l'air qu'ils respirent semble chargé de l'odeur des eucalyptus. D'ailleurs un koala les rejoins et leur grimpe dans les bras. Tous les trois explorent cet endroit magique. Une matinée entière sur les sentiers ombragés du parc national de Daintree. Le koala s'enfile les feuilles d'eucalyptus comme certain s'enfilent des chips et Lucette et son mari profitent d'un ruisseau pour reposer leurs pieds fatigués dans l'eau fraîche. Mais les deux vieux sont curieux, avides de la suite, alors des collines verdoyantes ils se jettent directement sur les plages du Nord.

Les surfeurs se pavanent sur le sable étalant leurs muscles et la crème solaire. Quelques requins se feraient bien un sandwich mais les panneaux des associations écologistes leur recommandent de rester frugaux. Il n'y a pas que les squales qui ont l'estomac vide, Lucette pousse son mari à l'eau et lui recommande de ne pas rentrer les mains vides. Heureusement quelques minutes plus tard, un poisson clown grille sur les braises. C'est un peu juste mais ça sent tellement l'aventure.

L'après-midi se passe à flâner sur les plus belles plages du monde et quand vient l'heure du coucher de soleil, ils sont là où l'on ne peut qu'être à ce moment. Ayers rock et le grand désert rouge. Probablement les plus beaux couchers de soleil des magasines. Lucette et son mari se serrent l'un contre l'autre et profitent du moment. Dans quelques minutes la minuterie du four va sonner. Dans quelques minutes ils ouvriront les yeux sur le désastre qui les entoure. Ils profitent encore pour un temps des moments vécus à travers le décor.

Autour du petit couple le salon de l'appartement est dévasté. La bibliothèque est à moitié vidée. Les guides de voyage ouverts face contre la moquette, les magasines dispersés entre la table basse et les plantes vertes. La crème solaire est ouverte et coule sur le tapis aux motifs d'inspiration aborigène. Un paquets de mouchoirs verts est répandu autour d'une vieille peluche, et l'aquarium est vide. Maurice, le poisson rouge offert pas leur petit fils a disparu. Lucette est en bikini et son mari arbore sa plus belle chemise à fleur. Deux soupirs de contentement s'échappe des deux corps silencieux.

« -Aaah, les voyages ! »

Chamrousse, Mars 2012.