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Jonathan Perret

Les Mouettes, La Nuit

3 Juin 2012, 16:30pm

Publié par Jonathan Perret

Les Mouettes, la Nuit

Photographies 5317 - CopieLes rues de la colline s'enchaînent rapidement. Les murs défilent, couverts de graffitis ratés. Ici et là de grandes coulées traversent le trottoir et se perdent dans le caniveau. Il n'y a plus beaucoup de monde à cette heure et le fêtard sur son vélo choisi son itinéraire sans contrainte. De la route au trottoir en évitant les pavés et de feux rouges en sens interdit, la ville lui appartient. Nerveux sur le coup de pédale, il accélère à chaque virage. Il est inquiet. Depuis qu'il est parti de cette traboule il y a une demi heure il se sent suivi. Pas par quelqu'un. Par une sensation confuse qui se précise dans les vapeurs d'alcool qui l'essoufflent dans les côtes. Un nuage de mouettes noires qui lui crient dans les oreilles à chaque coup de pédale. En plein cœur de Lyon il sait que c'est impossible et ça devrait le rassurer. Mais, ça le fait plutôt accélérer. Pas normal un truc pareil. Il prend de la vitesse a chaque descente pour semer les volatiles et on dirait bien que ça fonctionne, le bruit diminue et il n'entend plus qu'un chuintement pas trop inquiétant. Il arrive à pleine vitesse dans un carrefour, les lumières des feux sont un peu confuses, et trop nombreuses en plus. Pas vraiment le temps, ni la capacité d'ailleurs, de se demander qui a la priorité. Dans le doute il passe aussi vite que son vieux peugeot le lui permet. Il a croisé un automobiliste. Un égaré qui l'a klaxonné et à moitié aveuglé avec ses phares ! Quelqu'un a crié une insulte. Mais les quelques réflexes qu'il lui restent l'obligent à serrer les poignées de frein. Aussitôt les mouettes reviennent furieuses et lui tirent sur les cheveux. Il pousse sur les cuisses mais les rues se redressent et prennent du devers, le vélo est de moins en moins stable, la houle le jette vers le bord de la route et il évite de justesse les bites d'amarrages le long du trottoir. Les mouettes sont toujours là, elles le pourchassent, de plus en plus nombreuses à chaque virage. A chaque coup de guidon il pense les semer mais elles reviennent, à chaque accélération il espère les dépasser mais elles semblent sortir du vélo, de chaque nid de poule il en sort des dizaines. Son louvoiement l'amène quand même en vue de la lourde porte de bois qui le sauvera. LyonIl saute en marche, et se met à courir le vélo à la main, il se demande quelle partie du corps il devra protéger quand les mouettes affamées fonderont sur lui. Il se jette contre la porte, le digicode ne proteste même pas. Le battant claque contre le mur carrelé de l'immeuble et il se retrouvent, dans un bruit de cataclysme, le vélo et lui dans l'entrée de l'immeuble. Il est par terre, prostré, il attend les coups de bec. Mais rien ne vient. Plus de bruits. Dans la lumière blême de la porte d'entrée restée ouverte on ne voit pas l'ombre d'une plume. La roue du vélo tourne doucement, voilée. Il se redresse et commence à comprendre. Honteux, il repose sa monture fatiguée contre celles de ses colocataires. Il remonte les marches, soulagé en s'appuyant contre le mur. Demain il faudra penser à mettre de l'huile.

Chamrousse, Mars 2012